Hommage à papa
Je voulais commencer par remercier toutes les personnes ici présentes, famille, amis et proches, réunies pour rendre un dernier hommage à mon père. Merci pour votre présence, merci pour votre soutien. C’est à lui que je voulais m’adresser et par ce biais de lui dont je voulais vous parler.
Papa,
Quelle enfance as-tu eu, je me le suis souvent demandé. Quand je puise dans mes lointains souvenirs de vacances passées là –haut, en Seine et Marne, c’est une impression d’austérité qui émerge. Né dans une famille ouvrière, à Souppes-sur-Loing, peu avant l’occupation, tu étais peu causant sur le sujet, ne l’abordant principalement qu’à travers tes amitiés, dont certaines se sont manifestées une dernière fois, récemment.
Professionnellement, tu as réussi dans l’industrie. De simple électricien tu t’es hissé à un poste de haut responsable du terminal méthanier de Fos-sur-Mer. C’est à force de travail, de rigueur et de persévérance que tu y es parvenu.
Je ne sais trop si le désir d’enfants faisait partie de ton projet initial, je pense que notre présence en ce monde, à mon frère et à moi, fut plutôt l'aboutissement d'une volonté maternelle. Tu fus néanmoins heureux de nous avoir, j’en suis certain.
Cartésien dans l’âme et incorrigible pragmatique, tu nous as appris la primauté de la raison sur toute forme de passion. Tu nous as inculqué le sens de la droiture républicaine et de l’honnêteté, la prévalence de l’intérêt général sur les intérêts particuliers, du citoyen sur l’individu, de l’acte sur le verbe. J’ose espérer faire partie des gens de bonne volonté, cela je te le dois.
La solidarité était aussi une valeur qui te tenait à cœur ; je te revois nous expliquer ta satisfaction de payer tous les mois pour tous ceux qui nécessitaient des soins, tout en espérant ne jamais avoir besoin d’en bénéficier en retour… sur ce dernier point tu ne fus pas exhaussé, et c’est bien la solidarité nationale qui fut mise à contribution ces dix dernières années pour te garder parmi nous.
Mais pas que. Je veux rendre ici un autre hommage, à notre mère cette fois, qui par dévotion et abnégation a porté notre père à bout de bras durant tout ce temps. Non, le Christianisme, la religion de l’amour et du don de soi, n’est pas éteint chez nous. Un Christianisme non plus de culte mais de culture. J’en perçois, à travers tes années de sacerdoce, maman, tout l'héritage. Grâce t’en soit rendue, maman.
Je voulais aussi chaleureusement remercier mon frère Franck et ma belle-sœur, Eva, qui ont, malgré la douleur, trouvé la ressource de saisir à bras le corps démarches et formalités inhérentes aux événements. Eva, Franck, vous avez été nos deux piliers dans cette épreuve, à ma mère et à moi.
Papa, où es-tu désormais ? Es-tu seulement encore ? L’éducation que tu m’as prodigué me laisse bien démuni face à ton départ. Mais tout comme il y a une différence entre culte et culture, il y a une différence entre croire et espérer. Alors j’espère de toute mon âme que tu es quelque part, papa, serein et libéré.
Et puis, pour clôturer ces adieux, il y a ces mots que nous ne nous sommes jamais dits, par pudeur, par retenue. Des mots simples pourtant, mais si durs à prononcer. Rien de grave, papa, il n’y a point d’amour paraît-il, seulement des preuves d’amour. Et des preuves, avec mon frère, nous en avons eu à foison. Nous avons déploré il y a peu, du côté de ma mère, la perte de notre oncle Jacques, notre Grand Jacques familial. C’est à un autre Grand Jacques, celui que nous écoutions autrefois dans l’autoradio à cassette, quand nous montions sur Aigues Vives, que je confierai la tâche de chanter ces mots là. En hommage à notre père…
(« Quand on n'a que l'amour » de Jacques Brel)